Qui sont les Carnutes et les Gallo-romains ? Dans le nouvel hôtel du Puy du Fou, on peut lire dans un espace dédié aux chambres "Les Carnutes". Une question vient d'office à notre esprit : mais qui sont "Les Carnutes". Bienvenue dans cette exploration historique qui nous emmènera au cœur de la Gaule antique, à la découverte d'un peuple fascinant et méconnu : les Carnutes. Nous verrons comment ce peuple celtique, installé au centre de ce qui deviendra plus tard la France, a joué un rôle fondamental dans l'histoire gauloise avant de se transformer au contact de la civilisation romaine pour donner naissance à une culture unique : la civilisation gallo-romaine. Cette présentation nous permettra de comprendre les spécificités culturelles, politiques et religieuses des "Carnutes", leur résistance face à l'expansion romaine, puis leur intégration progressive dans l'Empire, illustrant parfaitement la transition complexe qui a donné naissance à la société gallo-romaine. Les Carnutes : peuple de la Gaule celtique Les Carnutes constituaient l'une des nations les plus influentes de la Gaule celtique avant la conquête romaine. Leur territoire s'étendait stratégiquement au cœur de la Gaule, dans une région qui correspond aujourd'hui principalement à la Beauce, cette plaine fertile qui a toujours été un grenier à blé pour la France. Géographiquement, leur territoire était délimité par deux fleuves majeurs : la Seine au nord et la Loire au sud, formant ainsi une zone de contrôle cruciale pour les échanges commerciaux et culturels entre différentes parties de la Gaule. Cette position centrale leur conférait une importance stratégique considérable dans l'organisation politique et religieuse des peuples gaulois. Autricum   (Chartres) : Centre urbain d'importance majeure, capitale politique et administrative des Carnutes, témoignant déjà d'une certaine urbanisation avant même l'influence romaine. Cenabum   (Orléans) : Principal comptoir commercial des Carnutes, bénéficiant d'une position privilégiée sur la Loire, facilitant les échanges avec d'autres peuples gaulois. Ces deux villes formaient les piliers de l'organisation territoriale carnute et constituaient des centres névralgiques pour l'administration, le commerce et les pratiques religieuses de ce peuple influent de la Gaule centrale. Territoire et économie des Carnutes Le territoire des Carnutes couvrait approximativement les départements actuels d'Eure-et-Loir, du Loiret et du Loir-et-Cher. Cette vaste région, caractérisée par les plaines fertiles de la Beauce, offrait des conditions idéales pour le développement d'une agriculture prospère, faisant des Carnutes l'un des peuples les plus riches de la Gaule celtique. L'agriculture extensive exploitait les riches terres à blé de la Beauce, permettant non seulement d'assurer la subsistance du peuple mais également de commercer avec les peuples voisins. Les techniques agricoles "Carnutes" étaient avancées pour l'époque, avec l'utilisation de l'araire et possiblement de la charrue gauloise. Le commerce fluvial, grâce à leur position stratégique sur deux axes fluviaux majeurs, la Loire et l'Eure (affluent de la Seine), permettait aux Carnutes de développer un réseau commercial étendu. Cenabum (Orléans), située sur la Loire, constituait un important centre d'échanges transitaient les marchandises venues du sud de la Gaule et destinées au nord. Les fouilles archéologiques ont révélé de nombreux objets témoignant de cette économie diversifiée : outils agricoles, amphores destinées au commerce du vin, monnaies «Carnutes» (qui circulaient bien au-delà de leur territoire), et divers objets d'artisanat local. Cette prospérité économique a certainement contribué à l'influence politique et religieuse des Carnutes dans le monde gaulois, leur permettant de financer d'importantes cérémonies religieuses et d'entretenir une classe druidique nombreuse et respectée. Rôle politique et religieux Le prestige des "Carnutes" dans la Gaule pré-romaine dépassait largement leur seule puissance économique. Ce peuple occupait une position centrale dans la structure politique et surtout religieuse de l'ensemble du monde gaulois, ce qui lui conférait un statut exceptionnel parmi les nations celtiques. Selon Jules César dans "La Guerre des Gaules", c'est dans un lieu consacré du pays des Carnutes que se réunissaient annuellement les druides de toute la Gaule pour rendre la justice et transmettre leurs enseignements. Centre religieux de la Gaule : Les forêts du territoire "Carnute" étaient considérées comme le centre religieux de toute la Gaule. Ces assemblées druidiques constituaient la plus haute instance judiciaire, les druides jugeaient les litiges entre peuples et individus, rendant des sentences qui avaient force de loi dans l'ensemble du monde gaulois. Ce rôle de "cour suprême" renforçait l'autorité morale et politique des Carnutes et explique pourquoi ils furent parmi les premiers à se soulever contre l'occupation romaine et parmi les plus difficiles à soumettre définitivement. Rôle militaire : Les Carnutes jouèrent un rôle actif dans la résistance contre César, participant à la coalition menée par Vercingétorix en -52. La rébellion commença d'ailleurs à Cenabum (Orléans) où les Carnutes massacrèrent des négociants romains, donnant ainsi le signal du soulèvement général. Organisation politique : Comme la plupart des peuples gaulois, les Carnutes étaient dirigés par une aristocratie guerrière et un conseil des anciens. Leur système politique semble avoir oscillé entre monarchie et système républicain aristocratique, avec des périodes d'instabilité mentionnées par César. Le territoire "Carnute" représentait bien plus qu'une simple région administrative : c'était le cœur spirituel de la civilisation gauloise, un statut qui leur conférait une responsabilité particulière dans la préservation de l'indépendance et des traditions celtiques. Les Carnutes face à Rome La confrontation entre les Carnutes et Rome s'inscrit dans le cadre plus large de la conquête de la Gaule par Jules César, mais présente des caractéristiques particulières qui méritent d'être soulignées. -58   à   -54 : Période relativement pacifique les Carnutes sont considérés comme "alliés du peuple romain". Ils fournissent même de la cavalerie à César pour ses campagnes. -54 : Première tension : César intervient dans les affaires internes des Carnutes en imposant Tasgetios comme roi, provoquant le mécontentement d'une partie de l'aristocratie locale. -53 : Assassinat de Tasgetios, considéré comme un roi-client de Rome. César envoie une légion chez les Carnutes pour maintenir l'ordre. -52   (début) : Les Carnutes donnent le signal de la révolte générale en massacrant les marchands romains à Cenabum (Orléans). Cet événement déclenche le soulèvement qui portera Vercingétorix au pouvoir. -52 (printemps) : César prend et pille Cenabum en représailles. De nombreux Carnutes rejoignent l'armée de Vercingétorix. Après    -52 : Soumission progressive des Carnutes, qui conservent néanmoins une certaine autonomie dans le cadre provincial romain. L'intégration des Carnutes à l'empire romain fut ainsi progressive et non sans résistance. Leur territoire, en raison de son importance symbolique et stratégique, fit l'objet d'une attention particulière de la part des autorités romaines. César, tout en imposant l'autorité de Rome, sut préserver certaines structures locales pour faciliter la transition vers ce qui deviendrait la civilisation gallo- romaine. De la conquête à la société gallo-romaine La défaite de Vercingétorix à Alésia en -52 av. J.-C. marque conventionnellement la fin de l'indépendance gauloise et le début d'une nouvelle ère : celle de la Gaule romanisée. Cependant, la transition entre la civilisation gauloise et la civilisation gallo-romaine fut un processus complexe et progressif, particulièrement visible sur le territoire des Carnutes. La pacification : Après la conquête, Rome mit en place une politique de pacification qui combinait présence militaire et intégration des élites locales. Les aristocrates "Carnutes" furent progressivement associés à l'administration romaine et incités à adopter le mode de vie romain, limitant les risques de révolte tout en facilitant l'acculturation. Réorganisation   administrative   : Le territoire carnute fut intégré à la province de Gaule lyonnaise (Gallia Lugdunensis), créée par Auguste. Autricum (Chartres) devint une civitas, c'est-à-dire le chef-lieu d'une circonscription administrative correspondant approximativement à l'ancien territoire tribal. Transformation   culturelle : La romanisation se manifesta d'abord dans les villes, avec la construction de monuments typiquement romains (forum, thermes, temples, théâtres) et l'adoption rapide de la langue latine par l'élite. Dans les campagnes, le processus fut plus lent, permettant la survie de nombreux éléments de la culture celtique. Cette période de transition, qui s'étend approximativement du règne d'Auguste (27 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.) jusqu'au milieu du Ier siècle ap. J.-C., vit naître une société originale, ni totalement romaine ni purement gauloise, mais véritablement gallo-romaine. Cette nouvelle culture syncrétique constituera le substrat de la future civilisation française, illustrant la capacité d'adaptation et d'assimilation tant des Gaulois que des Romains. La vie quotidienne en Gaule romanisée La romanisation transforma profondément le paysage du territoire "Carnute", comme celui de l'ensemble de la Gaule, en introduisant un modèle d'urbanisme inspiré des villes italiennes mais adapté aux réalités locales. Urbanisation   et   habitat : Les anciens oppida (places fortes gauloises) comme Autricum furent transformés en véritables villes à la romaine, avec un plan organisé autour du forum, centre politique et commercial. Des monuments publics typiquement romains y furent construits : thermes, basilique, temples, parfois amphithéâtre ou théâtre. Dans les campagnes, les fermes gauloises cédèrent progressivement la place aux villae romaines, vastes domaines agricoles organisés autour d'une résidence principale (pars urbana) et de bâtiments d'exploitation (pars rustica). Ces villae, souvent propriétés de notables gallo-romains, combinaient techniques agricoles romaines et traditions gauloises. Le   réseau   routier : Rome développa un impressionnant réseau de voies pavées qui reliaient les principales villes du territoire "Carnute" au reste de la Gaule. Ces routes, construites selon des techniques avancées (fondations en pierre, système de drainage), facilitaient les déplacements militaires, administratifs et commerciaux. Vie   sociale   et   culturelle : La vie quotidienne des habitants du pays "Carnute" fut profondément modifiée par l'adoption d'éléments culturels romains, sans toutefois abandonner complètement les traditions ancestrales. Alimentation : Adoption progressive de produits méditerranéens (vin, huile d'olive, garum) tout en conservant des spécialités locales (charcuteries, bières, fromages). Vêtements : Coexistence de la toge romaine (pour les occasions officielles) et de vêtements d'origine gauloise comme les braies et les saies (manteaux de laine). Loisirs : Introduction de divertissements romains (thermes, jeux du cirque) qui complètent les festivités traditionnelles liées aux cycles agricoles et religieux. Artisanat : Fusion des techniques romaines et gauloises, donnant naissance à des productions originales, notamment dans la céramique et la métallurgie. Cette évolution des modes de vie témoigne de l'émergence d'une véritable civilisation gallo-romaine, qui n'était pas une simple imposition de modèles romains mais plutôt une synthèse créative entre deux traditions culturelles. Les fouilles archéologiques menées sur d'anciens sites "Carnutes" comme Chartres, Orléans ou des villae rurales environnantes révèlent cette coexistence harmonieuse d'éléments gaulois et romains dans tous les aspects de la vie quotidienne. Caractéristiques des Gallo-romains La civilisation gallo-romaine, qui s'est développée du 1er siècle avant J.-C. jusqu'au Ve siècle de notre ère, représente bien plus qu'une simple occupation romaine de territoires gaulois. Elle constitue une véritable symbiose culturelle qui a donné naissance à une société originale, particulièrement visible dans l'ancien pays des Carnutes. Langue   et   communication : Le latin s'imposa progressivement comme langue officielle et culturelle, notamment dans les villes et parmi les élites. Cependant, les langues gauloises continuèrent d'être parlées dans les campagnes pendant plusieurs siècles, créant une situation de bilinguisme qui influença l'évolution du latin vers le proto-français. Des inscriptions bilingues gallo-latines témoignent de cette période de transition linguistique. Religion   syncrétique : Le panthéon romain fut officiellement adopté, mais de nombreuses divinités gauloises survécurent en s'assimilant à leurs équivalents romains : Teutatès fut associé à Mars, Épona resta vénérée comme déesse des chevaux, etc. Les lieux de culte traditionnels (sources, forêts, carrefours) furent souvent monumentalisés à la romaine mais conservèrent leur caractère sacré d'origine. Ce syncrétisme religieux est particulièrement visible dans les ex-voto et les sculptures retrouvés sur le territoire "Carnute". Organisation   sociale : La structure sociale gallo-romaine reprit le modèle romain (citoyens/non-citoyens, patrons/clients) tout en conservant certaines hiérarchies gauloises. Les anciennes familles aristocratiques "Carnutes" s'intégrèrent généralement bien dans le nouveau système, obtenant la citoyenneté romaine et occupant des fonctions administratives. L'ancienne classe des druides perdit son pouvoir politique et judiciaire mais put partiellement se reconvertir dans l'administration ou le culte impérial. Art et artisanat : L'art gallo-romain se caractérise par un mélange d'influences : formes classiques romaines mais thèmes et motifs souvent gaulois. On observe une prédilection pour les représentations de divinités hybrides, de scènes de la vie quotidienne et de motifs végétaux stylisés. Les productions artisanales (céramique sigillée, bronzes, mosaïques) témoignent d'une remarquable maîtrise technique héritée des deux traditions. Héritage et influence des Carnutes et des Gallo-romains L'héritage des Carnutes et de la civilisation gallo-romaine constitue un substrat fondamental de l'identité culturelle et historique du centre de la France. À travers l'organisation du territoire, les pratiques sociales et culturelles, et jusque dans la langue française, nous sommes les héritiers directs de cette rencontre féconde entre deux civilisations qui sut créer une synthèse originale et durable. Continuité   des   lieux   sacrés : La cathédrale de Chartres s'élève sur l'emplacement d'un ancien sanctuaire "Carnute", illustrant la permanence des lieux de culte. Cette superposition des édifices religieux, temple gaulois, temple gallo-romain, église paléochrétienne puis cathédrale, témoigne d'une continuité spirituelle remarquable malgré les changements de religion. Infrastructure   persistante : Le réseau routier moderne du centre de la France suit encore partiellement le tracé des voies romaines qui traversaient le territoire "Carnute". Ces routes, comme la Via Turonensis reliant Autricum (Chartres) à Caesarodunum (Tours), ont structuré durablement l'organisation du territoire et les flux de circulation. Patrimoine   archéologique : Les fouilles archéologiques dans la région ont révélé de nombreux vestiges gallo-romains : sanctuaires comme celui de Saint- Martin-au-Val à Chartres, théâtres comme celui de Drevant, villae rurales et nécropoles. Ces sites permettent de mieux comprendre la fusion culturelle qui s'est opérée entre traditions "Carnutes" et influences romaines. Influences   durables : Toponymie : De nombreux noms de lieux dans la région conservent la mémoire des Carnutes : Chartres (dérivé de Carnutum), Châteaudun (Dunum signifiant "forteresse" en gaulois), ou encore les nombreux lieux-dits contenant les racines gauloises magos (marché), duros (forteresse) ou briga (hauteur). Pratiques   agricoles : Certaines pratiques agricoles traditionnelles de la Beauce, comme l'organisation des domaines et la rotation des cultures, trouvent leurs origines dans le système des villae gallo-romaines qui avaient elles-mêmes intégré des savoir-faire gaulois. Traditions   locales : Des fêtes locales célébrant les moissons ou le solstice d'été perpétuent, sous des formes christianisées, d'anciennes célébrations gauloises puis gallo-romaines. Les foires et marchés de la région suivent parfois un calendrier dont l'origine remonte à l'époque gallo-romaine. Conclusion : une double identité L'histoire des Carnutes et l'émergence de la civilisation gallo-romaine sur leur territoire illustrent parfaitement le processus complexe de rencontre entre deux cultures, l'une indigène et l'autre conquérante, qui a abouti non pas à une simple substitution mais à une véritable synthèse créatrice. Les Carnutes, en tant que peuple gaulois, puis gallo-romain, incarnent cette double identité qui caractérise les débuts de notre histoire nationale. D'abord farouchement attachés à leur indépendance et gardiens des traditions celtiques au point d'abriter le sanctuaire central de la religion druidique, ils ont ensuite participé pleinement à l'élaboration d'une nouvelle civilisation qui n'était ni purement gauloise ni simplement romaine. Cette transformation ne fut pas sans tensions ni résistances, comme en témoigne le rôle des Carnutes dans le soulèvement de Vercingétorix. Mais elle aboutit finalement à une acculturation réciproque dont les bénéfices furent considérables : pour les Gaulois, l'accès à une civilisation urbaine plus développée, à l'écriture, à de nouvelles techniques ; pour les Romains, l'enrichissement de leur empire par l'intégration de populations dynamiques et créatives. "Les Gallo-Romains ne sont ni des Gaulois romanisés, ni des Romains installés en Gaule, mais bien les créateurs d'une civilisation originale née de la rencontre féconde de deux mondes." Christian Goudineau, historien spécialiste de la Gaule Cette leçon historique garde toute sa pertinence aujourd'hui : elle nous rappelle que les identités culturelles ne sont jamais figées mais toujours en mouvement, s'enrichissant au contact de l'autre. L'exemple des Carnutes, témoins et acteurs de cette métamorphose culturelle, nous invite à considérer que la richesse d'une civilisation réside souvent dans sa capacité à intégrer et transformer des apports extérieurs tout en préservant certains de ses fondements originels.